VOUS AVEZ RAISON GERARD LEVY « Chaque quart d’heure compte en cas d’hémorragie »

 

 

 

Dans le Monde du 03.01.07 notre éminent confrère Gérard LEVY appuyait son analyse du rapport sur la mortalité maternelle (I.V.S. – déc. 2006) (1) par cette phrase définitive « Chaque quart d’heure compte en cas d’hémorragie »… Surement…, les praticiens, sur des sites isolés, en savent quelque chose. C’est le service transférant qui a la responsabilité civile et pénale en cas de décès !

Nous nous sommes donc informés sur les causes de cette catastrophe et les analyserons.

A)    La césarienne est la première cause d’hémorragie du post-partum, surtout quand elle est réalisée dans l’urgence (mais aussi les coagulopathies favorisées par la césarienne).    Le taux de césarienne atteint 30 % dans certaines maternités et non des moindres. Pourquoi ?

1) les sièges accouchent rarement par voie basse. La césarienne de principe a été quasiment systématisée dans la décennie 1980 sur le critère d’une surmorbidité néonatale. Les praticiens auraient perdu la main  dans les pays « développés » alors qu’en Europe les pays « émergeants » (ex Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie) possèderaient une grande expérience de la voie basse (2). L’accouchement par les sages-femmes y est aussi beaucoup plus fréquent. Ces pays émergeants enregistrent, pour les sièges, moins de morbidité néonatale. Ils se retrouvent dans le même groupe de qualité que la Suisse ou le Canada selon les normes de l’O.M.S. (2). S’agissant de l’accouchement du siège, l’analyse des dernières enquêtes permet d’être optimiste quant à la voie basse (3). Cette problématique repose plus sur la présence d’une équipe entraînée que sur le choix de la voie d’extraction (4). Là encore se pose la question du pays dans lequel s’est faite l’étude, de sa politique de santé et d’accès aux soins. En Hollande, avec un taux de 11 % de césariennes/an pour la totalité des naissances de 1998, la voie basse, pour les sièges, représentait 50,30 %. Aux U.S.A. la voie haute est dominante 90 % (5) avec une réduction depuis 2006, pour les sièges à terme, depuis la publication d’Hannah. (3).

 

2) Le taux des déclenchements est évalué à 25 % des accouchements en France et conduit jusqu’à 10 % des césariennes dans l’urgence pour hypercinésie utérine, RCF perturbé, liquide méconial (6). Hors raison médicale et  « par principe »  31,7 % des praticiens déclenchent même sur col défavorable  (7).

 

Parmi les arguments, on ne peut pas manquer de retenir les conséquences de la politique économique et de restructuration hospitalière :  

 

       -     Eloignement du lieu de naissance lié à une réduction des maternités. On ne renvoie pas à domicile, un  

       « faux travail », s’il y a 40 à 50 km (aller) à parcourir, on déclenche…

-          Petits  dépassements  de  terme  et  liquide  amniotique  « possiblement teinté » dont la multiplicité des

déplacements, pour assurer la surveillance, crée des problèmes de transport à l’heure où la Sécurité Sociale dénonce notre laxisme et le surcoût généré par les transports sanitaires.

-          Impératifs économiques du week-end et autres, gains de productivité …(8).

-          Surveillance d’une grossesse à risque hospitalisée qui sera déclenchée, non pour un problème fœtal, mais par faute de lits disponibles dans les prévisions de naissances à venir : compression de personnel, restructuration des services (9).

-          Les convenances personnelles (week-end, vacances, accouchements aux heures ouvrables) (8).

-          Enfin, avoir à l’esprit que l’embolie amniotique serait favorisée par les déclenchements (10).

 

3) Les autres causes identifiées mortelles de la césarienne sont :

 

-          Problème cardio-vasculaire peranesthésique révélant une cardiopathie non diagnostiquée ou non relevée par l’anesthésiste du fait de la multiplicité des intervenants, surtout dans l’urgence.

-          Embolies pulmonaires, péritonites.

 

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-          Infections nosocomiales (considérées comme un témoin de non qualité) sont plus fréquentes après césarienne et se rencontrent le plus souvent dans les grandes structures, réputées pour leur qualité, et dont l’architecture verticale (gaines techniques et climatisation qui cheminent à travers de nombreux services, et parfois, d’infectiologie) multiplie les risques infectieux. En revanche, la fréquence des infections nosocomiales est plus faible dans les hôpitaux pavillonnaires. Ce n’est pas une révélation, les hygiénistes du siècle dernier enseignaient sans relâche que « les infections nosocomiales sont proportionnelles au nombre de soignants et soignés sur un même site. » Plus qu’une faute technique grossière, les infections nosocomiales sont le témoin d’un ensemble de dysfonctionnements, d’erreurs de gestion et d’organisation, impliquant de nombreux professionnels.

 

B)     La mortalité maternelle : les autres causes reconnues :

 

      1) L’âge maternel : 1/3 des décès per et post gestionnels était âgé de plus de 35 ans (11) : quelle              information est faite  auprès  des  femmes  pour  les inciter  à  débuter  leur grossesse plus tôt ? Entre 40 et 45 ans, le risque de mort maternelle est multiplié par trois.

 

         2) Le Contexte socio-économique et religieux :

           Il est retenu dans un pourcentage inquiétant. La région Ile de France (I.d.F) présente une surmortalité maternelle de 50 % par rapport au reste de la France. Une des causes, d’après Jean Legrand (Démographe APRD – SORBONNE 2007), serait le taux important de naissances d’enfants issus de deux parents en situation irrégulière : mères sans surveillance obstétricale pour des raisons d’ordre financier, ethnique, administratif et/ou religieux (la mortalité maternelle serait multipliée par 44 chez les Témoins de Jéhovah en cas d’hémorragies d’après B. Carbonne)  (12).  En 2004, 35,8 % des naissances d’I.d.F ont deux procréateurs étrangers (INSEE 2005) et 55 % en Seine Saint Denis. La moyenne en France métropolitaine est de 11 %. La précarité croissante doit être dénoncée et pas seulement chez les migrants. La moitié des sites de naissance ont disparu dans cette région.  

 

         3) I.V.G. :

  Les hémorragies post-I.V.G. sont devenues rarissimes, leur prise en charge doit encore s’améliorer. Il  n’est pas certain que l’I.V.G. ambulatoire, privée, soit une bonne solution, en raison des infections et hémorragies (rétention de tissus embryonnaires), reprises en milieu hospitalier dans environ 25 % des cas.

 

         4) L’obésité pathologique : (13)

           L’obésité intervient de plus en plus dans les causes de décès : obésité morbide (IMC > 40) ou superobésité (IMC > 55) (14). Le taux de césariennes est multiplié par trois par rapport à la population témoin.  Toutes les complications obstétricales, postopératoires  (15) (16) et anesthésiques (17) sont en surnombre ; 60 % des obèses accouchent par césarienne, 66% de ces dernières sont réalisées en urgence. Tout est difficile, (18)  l’anesthésie générale, l’intubation, la péridurale, la table d’opération inadéquate et même parfois la prise de tension artérielle : le brassard est trop petit ! 35 % des décès maternels surviennent chez des obèses,  soit 50 % de plus que la population normale.

           Le risque  hémorragique  a  un  odd ratio (OR) à 1,7 il est corrélé de façon linéaire à l’obésité qui, elle, croît de 5,7 % par an depuis 1997. Chez les femmes en âge de procréer, la prévalence, en France, est de 12,4 %. (enquête Obépi Sofres 2006).

           Quelles politiques de santé et prévention efficaces sont mises en place, quand seuls 8 CHU (DHOS - 2005)  (19) sont dédiés à ces femmes ? Quelle prévention possible pour un tiers des femmes enceintes de l’hexagone qui sont éloignées d’une équipe multidisciplinaire indispensable ?

 

 

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5) Le retour précoce à domicile :

Après  accouchement  par voie  basse  et  surtout  césarienne,  le manque de lits obstétricaux oblige le retour précoce à domicile, cette pratique ne  permet  pas  de  repérer les pathologies  à manifestation  retardée : (phlébites,  infections, hypertension) et entraîne des réhospitalisations au coût bien plus élevé qu’un séjour raisonnable (20).

       Comme pour les transports sanitaires, les arguments économiques de l’Etat sont pris en défaut.

       N’oublions pas les psychoses dont le risque suicidaire et d’infanticide est de 2 à 5 % en France, elles ont des manifestations retardées. En Grande-Bretagne les psychoses puerpérales représentaient 30 % des décès périnataux (21). Rappelons qu’à Londres, une maman dont l’accouchement n’a posé aucun problème, regagne son domicile avant la 24ème heure !   On ne peut manquer de rapprocher ce problème de séjour hospitalier de celui de la disparition de 2/3 des maternités françaises depuis 20 ans toujours pour cette politique économique de la Santé.  Or, l’enveloppe  nationale  « maternité » ne représente guère que 5 à 6 % du budget de la Sécurité Sociale.

        L’hospitalisation à domicile pour pallier à ce défaut de surveillance du post-partum, est une mesure intéressante mais notoirement insuffisante dans la réalité française.

 

C)     Les sites géographiques des maternités enquêtées :

 

Les sites de maternités enquêtées, sur la mortalité maternelle, n’ont pas été identifiés. La confidentialité de l’enquête était destinée à mieux recueillir les données. L’I.d .F a été repérée par les démographes de l’INSEE. Pour le reste du territoire, nous n’avons pas de précisions : petite ou grande maternité, privée ou publique ?

 

Dès lors, on pourrait se référer, avec prudence, au dernier rapport de la CNAMTS rendu public en 1993 !, établissant que la mortalité maternelle était de 40 % supérieure dans les structures effectuant plus de 1500 accouchements/an,  c’est-à-dire dans les maternités où naissent plus des deux tiers des enfants de l’hexagone.

 

Un autre rapport, celui de la CRAM Rhône-Alpes (oct. 1993), signalait qu’il valait mieux naître dans une petite structure qu’une grande quand l’accouchement était prédit normal, (85 % des naissances en France) car la surveillance de proximité était mieux assurée et la médicalisation de la naissance  moins lourde.

En conclusion/

 

Comment ne pas apporter notre adhésion au terrible aphorisme de Gérard LEVY « chaque quart d’heure compte en cas d’hémorragie maternelle à la naissance ». (70 % des morts maternelles seraient évitables).  Doit-on penser que notre éminent professeur, en avalisant la fermeture de nombreux sites de naissances, s’était référé à l’INSEE qui disait que « chaque femme enceinte en France était à 13 km d’un Hôpital … à vol d’oiseau » ! ?

 

Il faudra alors nous expliquer comment font les gestantes de la Haute Corse, de la Creuse, du Gers, de la Haute Loire, de la Haute Saône,  de la Lozère, des Pyrénées Orientales, du Tarn et Garonne : huit départements où on ne peut accoucher qu’au chef-lieu !! ??

On n’arrête pas le progrès, ni la progression de la mortalité maternelle et néonatale en réduisant l’accès aux soins, aux MATERNITES. Il y aurait peut-être des morts évitables dans ces départements ?

 

 

                                                                                     C. MUSZYNSKI

                                                                                     Président de la F.N.M.H.P.P.

 

 

 

 

 

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Bibliographie

 

1.        Institut de Veille Sanitaire n° 50 – Ministère de la Santé – décembre 2006.

 

2.        GABRIEL R. Présentations du siège à terme : voie basse ou césarienne programmée, Gyn Ob. 2001 ;  434- 435 : 12-13.

 

3.        HANNAH M.E.  et col. Maternal outcomes at two years after planned caesarean section versus planned vaginal birth for breech presentation at term : the International Randomized term Breech Trial. Am. J. Obstét.Gynecol. 2004 ; 191. 917-927.

 

4.       ORION V. et col. Planned  vaginal  delivery  versus  elective  caesarean  section : a study of 705 singleton term

       breech presentations ; Br. J. Obstetric. Gyneacol 1998 ; 105 (7)  : 710-717

 

5.        NISAND I. Peut-on encore accepter l’accouchement du siège par voie basse ? La Lettre du Gynecol. 2000 ; 257 : 51-52.

 

6.        GOFFINET F.  Avantages et inconvénients des déclenchements sans indication médicale : le point de vue de l’épidémiologiste J. Gynecol. Obstet Biol Reprod. 1995 ; 245 : 108-116.

 

7.        DEBOUVRIES-BERTRAND I. Notions d’Epidémiologie. Les  chiffres du déclenchement.  Doss. Obst. 2000 ; 282 : 36- 40.

 

8.        OSSART J. Pendant les palabres le déménagement continue. Dossier Obst. 1995 ; 234 : 2.

 

9.        DORRA A.C. Santé périnatale : la régression ? Panorama Médecin 2002 ; 4870 : 17.

 

10.     KRAMER M.S et col. Amniotic fluid embolism and medical induction of labor : a retrospective population based

       cohort study. LANCET 2006 ; 368 : 1444-1448.

 

11.     GUENIOT C. Grossesses tardives : le risque ne concerne pas que l’enfant. Panorama Méd. 2005. 4999 : 56.

 

12.     CARBONNE B. Cité in Quotidien du Médecin : 16.09.2002 – p 12.

 

13.     BAUVILLE E. et HELOU N.  EPU. Département d’Obstétrique Gynécologie et Médecine de la Reproduction.

       Hôpital Sud Rennes – juin 2007.

 

14.     DUCARME  G.  Grossesses des patientes obèses : quels risques faut-il craindre ?    Gynécol Obst Fertil  2007 ; 35 : 19-24.

 

15.     WEISS  J. Obesity, Obstetric complications and caesarean delivery rate. Am. J. Obstet Gynecol 2004 ; 1091-1097.

 

16.     GROSSETI  E. Complications Obstétricales de l’obésité morbide – J.  Gynecol. Obstet. Biol Reprod 2004 ; 33 :

       739-744.

 

17.     HOOD  D. Anesthesic and obstetric outcome in morbidly obese parturient. Anesthesiology 1993.79 (6) ; 1210-1218.

 

18.     HELOU-PROVOST  N. - E.P.U. Gynec.Obst. Hôpital Sud Rennes – juin 2007.

 

19.     D.H.O.S. Circulaire 11.02.2005 relative à la création de pôles interrégionaux spécialisés dans l’accueil des obèses.

 

20.  LIU  Shillian  et col. Length of hospital stay. Obstetric conditions at childbirth and maternal readmission.

       A population based cohort study. Am J. Obstet. Gynecol 2002 ; 187 : 581-587.

 

21.   DAYAN  J. - EPU Gynéco-Obstét.  CHU Caen – Juin 2007  Publication à paraître dans le J. Gyneco obst. Biolo et Reproduction dernier trimestre 2007.